La question de l’ouverture à l’autre : quand les exclusions rongent notre société ! 

Homélie du 6ème dimanche ordinaire B :

           Lectures : Lv 13, 1-2. 45-46; Ps 31; 1 Co 10, 31-11, 1; Mc 1, 40-45

Mes sœurs et mes frères, la liturgie de la Parole que l’Eglise propose à notre méditation en ce dimanche, évoque la  lèpre.  C’est une affreuse maladie infectieuse chronique, caractérisée notamment  par une atteinte  de la peau,  des muqueuses et des nerfs périphériques. Elle aboutit à  la tuméfaction du faciès, à des mutilations (on perd ses doigts, ses pieds …) et à tant d’autres déformations comme les mains en griffe. Ce fléau millénaire sévit dans des zones tropicales et subtropicales en Afrique-Madagascar, dans les Iles du pacifique, aux Antilles, en Asie et en Amérique latine. Selon l’OMS, il y a actuellement 2,8 millions de personnes atteintes dans le monde…  Cette hideuse  maladie est un des souvenirs de ma jeunesse : à la suite de notre compatriote devenu lépreux, le père Damien de Veuste (1840-1889), « martyr » de la charité auprès d’un millier de lépreux dans  l’île de Molokaï à Hawai, j’étais, comme petit séminariste, parmi les jeunes volontaires qui allaient faire de l’apostolat à la léproserie Loangu-lu-Vungu dans le Mayombe (RDC) d’où je suis originaire…

Au Proche-Orient et plus précisément dans la conception hébraïque, la lèpre était ce qu’était l’épidémie de la peste en Occident et l’endémie du VIH à la fin du 20ème siècle : une maladie qui suscite répulsion, phobie et est  considérée en bloc et a priori comme un châtiment de Dieu. Le lépreux était un paria maudit, humilié, stigmatisé, culpabilisé, mis au ban de la société. Comme pour la  pandémie de  covid-19, il fallait absolument des mesures barrières : une quarantaine obligatoire pour le lépreux et si jamais il se retrouvait en pleine rue, les gens  devaient , en guise de prévention primaire légale, se tenir à distance et lui, avait l’obligation de se faire remarquer par des vêtements déchirés, des cheveux en désordre, en mettant un masque et surtout  en enclenchant  la sirène d’alarme en gueulant : « Impur! Impur !  » (1ère lecture). C’était une terrible épreuve,  tellement dévalorisante.

Et qui se présente à Jésus ? Un lépreux  traqué par des regards agressifs,  qui le supplie avec insistance et à genoux : « Si tu le veux, tu peux me purifier!  » Cette imploration me rappelle la réponse de Marie à l’ange Gabriel : « Que tout me soit fait selon ta parole »  Elle fait aussi écho de la prière du Pater : « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel« . « Impur » signifie « Indigne« . A la messe, avant de vivre la communion mystique avec Jésus-eucharistie, l’Ecclesia, l’assemblée convoquée par Jésus-Christ et rassemblée autour de lui s’exclame en disant : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri ! » … Dans un élan de miséricorde, la requête émouvante du lépreux retourne les tripes de Jésus. Du latin  miséricordia, miseri (pauvre) , cor (cœur), la miséricorde n’est pas une mièverie affective, c’est un cœur bouleversé de l’intérieur, saisi  aux entrailles. Un cœur touché par la misère de l’autre, sensible à sa dégradation morale,  sa détresse spirituelle, sa souffrance psychologique, sa douleur physique,  sa précarité matérielle…

Alors, sans autre forme de procès, Jésus va  scandaliser tout le monde par un geste révolutionnaire : toucher l’intouchable ! Et pourtant, il aurait pu  guérir ce pauvre homme par sa seule parole comme il l’a fait en d’autres occasions. Pourquoi le touche-t-il coûte que coûte ? Son geste a une portée socio-affective et théologique. En bravant l’interdit sanitaire, la distanciation préventive, Jésus brise le tabou, les barrières entre les hommes et répare pour ainsi dire  les fractures sociales. En outre, le toucher n’est pas seulement un geste tactile de tendresse, mais aussi de transmission de chaleur, d’énergie, d’esprit, d’ondes bref une entrée en relation. Et puis, Jésus déploie le mystère de son incarnation : en soignant (purifiant) un corps ravagé par la maladie et méprisé par l’homme,  il valorise la chair humaine  dont il est lui-même formé en tant qu’Homme-Dieu. Ce faisant, il assume sa nature humaine sans cesser d’être Dieu …

« Oui je le veux, sois purifié « , autrement dit   je te remets debout et en état de marche; désormais tu es restauré dans ta dignité;  rentre dans ta famille, dans ton village et reprends normalement tes activités. Mais je te demande  2 choses : va te présenter au prêtre qui enregistre et authentifie, selon la loi de Moïse, pareille guérison. Il te donnera le certificat de réintégration dans la société. Et puis, tu as l’injonction du top secret : ne fais pas de publicité de ta guérison, pour m’épargner la ruée de gens qui voudraient  bien être  guéris à bon marché. Il ne faut pas qu’ils se méprennent : je ne suis pas d’abord un thaumaturge, mais le prophète de la Bonne Nouvelle de l’Amour inconditionnel de Dieu pour l’homme. Ce que je guéris en premier lieu, c’est la lèpre de l’âme, la lèpre spirituelle, c’est-à-dire le péché qui rend l’homme si vulnérable, impuissant  d’aimer en vérité, d’accueillir l’autre dans son altérité, sa différence…

Voilà pourquoi dans la deuxième lecture, saint Paul nous exhorte à nous adapter à tout le monde et à rechercher avant tout la gloire de Dieu. Pour saint Iréné, l’Evêque de Lyon,  Cette gloire,  c’est  « l’homme vivant » qui est au service de l’homme.

                                                                    Vital Nlandu, votre curé-doyen

Cet article a été publié dans Homélies. Ajoutez ce permalien à vos favoris.