Homélie à la Toussaint 2020 : Communion avec tous les saints
Lectures : Apoc 7, 2-4, 9-14; Ps 23; 1 Jn 3, 1-3; Mt 5, 1-12a
Mes frères et mes soeurs, la Toussaint ce n’est pas que l’entrée en hiver, la saison des feuilles mortes, la visite au cimetière ou les soins des tombes. C’est la fête de tous les saints, la myriade d’amis de Jésus de tous les temps et de tous les espaces (1ère lecture, Ps 23). Nous pouvons nous demander, à juste titre, ce qui caractérise ces saints, ceux qui sont canonisés, ceux qui sont inconnus ou encore anonymes.
Ils ont tellement été attachés à Jésus comme les sarments à la vigne, tellement imbibés d’Onction, d’Esprit Saint, qu’ils ont essayé, malgré la faiblesse humaine, de se configurer au Christ, en adoptant son style de vie, à savoir : les béatitudes. Se configurer au Christ y compris dans le dépouillement (la kénose). Paul appelle « saints » les baptisés (Phil 4, 21; col 1, 2). Pour dire que nous sommes tous appelés à la sainteté (Concile Vatican II, LG 39), chacun dans son état de vie, avec son âge, sa profession, son parcours, ses ressources, ses pauvretés, son mystère. La sainteté n’est pas réservée à une élite, à des super-chrétiens ou encore réduite à des phénomènes spectaculaires (lévitation, stigmates …). Elle se reconnaît par les fruits. Nous connaissons des femmes et des hommes séduisants par leur beauté intérieure, qui ont une passion pour l’humain. Ils ont passé ou passent leur vie en se vouant à leur semblable, en se dévouant pour les autres sans regarder leur propre nombril. Ils interpellent lorsqu’ils rendent simplement, gratuitement service et sans idéologie. La bonté est tissée dans l’exemple de ce soldat qui tend sa gourde à un ennemi blessé; du jeune homme qui se lève dans le bus pour donner sa place à une personne âgée; du pompier qui traverse les flammes, le visage noirci, parfois blessé, et qui fait cela pour sauver des vies ; cette infirmière qui soigne avec empressement les malades atteints de coronavirus et qui choisit de dormir en MRS pour ne pas contaminer les siens chez elle. Voilà les saints de nos jours !
Et maintenant, revenons aux béatitudes, concept qui se traduit par bonheur. C’est quoi le bonheur ? C’est une aspiration existentielle propre à tout homme. Sinon, pourquoi aller à la messe, bosser, se marier …, si ce n’est pas pour être heureux !
En effet, depuis que ce monde est monde, toutes les générations spéculent, cogitent autour de ce thème. Il y en a qui croient que le bonheur, c’est pour demain lorsqu’il viendra frapper à leur porte. Pour d’autres encore, en l’occurrence les sirènes de certains médias et publicités, le bonheur se réduit au pognon, au confort matériel, aux jouissances de la vie, à la recherche d’un plaisir immodéré. Il faut épuiser les jouissances sensuelles : le sexe, la drogue, l’alcool … On pense également que le bonheur, c’est la réussite sociale, la performance au travail. Nous connaissons le slogan de l’ultra-libéralisme : travailler davantage pour gagner plus, quitte à s’enfoncer dans le bourbier du burn out … Mais est-ce que tout cela est vrai ? On connaît des gens qui ont eu tout : la gloire, l’argent, le pouvoir, le prestige mais qui, hélas, sont paumés, blasés, constipés, déprimés ; des gens qui, spirituellement parlant, ne sont que coquilles vides, sans la moindre profondeur ! Le bonheur, chers amis, ne s’évalue pas au prorata de la richesse matérielle ! Savez-vous à qui Jésus s’adresse dans l’Evangile des béatitudes ? Il ne s’entretient pas avec des ministres ou des princes, mais avec des malades, des chômeurs, des SDF, des affligés, les pauvres des bidonvilles, des immigrés … C’est à ces gens-là qu’il ose dire : écoutez les gars, le bonheur est possible ! Ne serait-ce pas du cynisme ? Non, parce que pour Jésus, le bonheur relève de ce choix : choisir la pauvreté de cœur (ne rien posséder dont on n’a pas besoin, être en accord avec sa liberté intérieure, ne pas se suffire à soi-même), la pureté de cœur (être vrai, honnête), la douceur (es-tu un loup ou un agneau, un vautour ou une colombe pour les autres ?), la justice (une injustice subie par le faible devrait te révolter), la miséricorde et la paix… En fait, le bonheur c’est la joie spirituelle d’accueillir sa vie, quelles que soient les circonstances. Grâce à l’émerveillement, celui qui est heureux écoute son cœur et réalise que la bonté des gens, que la beauté des visages et celle de la Création est un cadeau du ciel. Son bonheur c’est devancer l’avènement du Royaume, semer les signes d’espérance en ouvrant le guichet de son amour… Les fruits du bonheur sont l’ataraxie spirituelle (absence des troubles intérieurs), la joie de vivre, la générosité qui s’oppose à la cupidité, la gratitude qui s’oppose à la suffisance …
André Chouraqui qui a fait une magnifique traduction de la Bible, traduit l’adjectif « heureux » par « en marche« . « En marche les pauvres, les endeuillés, debout les assoiffés de justice : le Royaume des cieux vous appartient ! » Notre bonheur ne peut que grandir et fleurir lorsque nous avançons vers la Fontaine qui étanche nos soifs profondes.
Vital Nlandu, votre curé-Doyen
