Une prière à ne jamais désespérer de l’autre… (et de soi…)

Et aime ceux qui te font ces choses, ….Et ne veuille rien d’autre que ce que le Seigneur te donnera… (François d’Assise, Lettre à un ministre)…

De ces quelques mots de saint François à un frère-responsable, qui se plaint amèrement du comportement d’un membre de la communauté dont il a la charge, nous avons commencé le commentaire, la semaine dernière.

Nous en étions arrivés au fait que la prière que nous vivons pour l’autre et pour nous-mêmes en cas de conflit ou de mésentente doit être une prière à ne jamais désespérer… J’écrivais : « ne jamais désespérer de l’autre, car le Seigneur ne désespère jamais de personne !… Pas de pire parole que ‘Il (Elle) ne changera jamais !…’… Qu’est-ce que nous en savons ?… Et même si tout donne à penser qu’il en sera de la sorte ici-bas, n’oublions jamais que la réalité ne se limite pas à l’ici-bas… C’est bien ce qui autorise – et encourage ! – à entreprendre un chemin de réconciliation avec les défunts ».

Continuons notre commentaire… En certaines circonstances, il arrivera qu’en situation de mésentente s’établisse une prise de distance. Cela vaut tant pour les relations intracommunautaires que pour les relations entre personnes.

La prise de distance pourra venir de l’initiative de l’une ou l’autre des parties impliquées. Mais parfois, elle s’imposera par les circonstances ou par décision d’autorité : ainsi, une séparation entre époux nécessitée par le besoin de sécurité de l’un d’entre eux ; ainsi aussi, la séparation pour cause d’incompatibilité entre deux personnes travaillant sur le même terrain (cf. entre Paul et Barnabé : On s’échauffa, et l’on finit par se séparer (Ac. 15, 39).) ou vivant en un même lieu ; ainsi encore, la mise à l’écart – voire l’exclusion – d’un membre d’une communauté…

Dans ces situations que je relève, parmi beaucoup d’autres qu’on pourrait aussi évoquer, et qu’il nous arrive à tous de vivre un jour ou l’autre, il importe de maintenir, envers et contre tout, que les mises à l’écart ne doivent jamais, en logique chrétienne, équivaloir à un rejet, ou à une condamnation !…

La finale de l’enseignement de Jésus sur la correction fraternelle nous vient ici bien à point pour nous aider à entrer dans l’esprit de l’Évangile.

Jésus dit qu’après que tout a été essayé sans succès auprès de la personne qui a péché, il faut la considérer comme le païen et le publicain (cf. Mt 18, 17)… À première vue, ces mots de Jésus apparaissent comme un rejet et une condamnation…

Mais il importe justement de bien s’entendre quant à ce qu’ils veulent dire… Et c’est à cet égard que j’aime reprendre quelques lignes du Père Jean Radermakers, sj. On trouve ces lignes dans son commentaire du chapitre 18 de l’évangile de Matthieu, qui traite de la vie en Église. Elles viennent assurément bien à propos pour notre méditation.

On me permettra de les reprendre entièrement (et même avec leurs passages plus techniques, pour certains qui y sont davantage sensibles) : Ce qui nous étonne, c’est la façon de parler, à première vue méprisante, « du païen et du publicain » (v. 17). Comment expliquer ce changement de langage chez celui qui s’extasiait devant la foi des païens (8, 10 ; 15, 28), ou plus exactement des « habitants des nations » (« ethnikos » : cf. 5, 47 ; 6, 7), et que l’on accusait de manger avec les publicains et les pécheurs (9, 11) ? En fait, Jésus nomme ici « le païen et le publicain » comme des personnes pour lesquelles les fidèles sont devenus impuissants. Vis-à-vis de ce frère qui « écoute à côté » (« parakouein » : v. 17), le chrétien n’a plus de responsabilité immédiate ; il lui reste à le remettre entre les mains du Père, en reconnaissant que l’aide à lui apporter le dépasse de toute manière. (…) L’Église est avant tout une communauté où les gens sont responsables de la foi de leurs frères. Quant à ceux qui s’en écartent malgré les efforts de ces frères, on ne peut que les livrer à la miséricorde du Père ; n’est-ce pas le Pasteur, finalement, qui part à la recherche de la brebis égarée (v. 12) (cf. la bannière de l’Année de la Miséricorde) ? En définitive, cette communauté dépend moins des efforts humains, qui peuvent se solder par un échec, que du Père qui est aux cieux. Toutes sortes de conflits déchirent les hommes ; seule la présence divine assure l’unité des frères. Si, au milieu même de ces conflits, « deux ou trois s’assemblent vers (« eis ») le nom » de Jésus (v. 20), laissant ainsi sa présence constituer leur acte de foi, Jésus est en effet au milieu d’eux. Ce qui permet à deux ou trois personnes de se mettre d’accord, sur terre, au sujet de n’importe quelle affaire (v 19), c’est la présence vivante de Jésus dans son Église, et non une simple initiative humaine. (Au fil de l’évangile selon saint Mattieu, éd. I.E.T., Bruxelles, 1974, p. 243)

… Non, ne jamais désespérer de l’autre !… Même si une séparation se maintient… et semble même devoir se maintenir pour toujours ! (cf. les divorces)… Ne jamais désespérer de l’autre, même si la conversion ou la réconciliation tarde, et, peut-être, semble ne jamais devoir se faire ici-bas… Ne jamais désespérer !… Oser croire à « l’impossible de Dieu » pour ici-bas… et sûrement pour l’au-delà : Rien n‘est impossible à Dieu (Lc 1, 37)… Y a-t-il rien de trop merveilleux pour le Seigneur ? (Gn 18, 14)…

Votre curé Henri Bastin.

Cet article a été publié dans Actualité, Le mot du curé, Réflexion spirituelle. Ajoutez ce permalien à vos favoris.