Et aime ceux qui te font ces choses,
Et ne veuille rien d’autre que ce que le Seigneur te donnera… (François d’Assise, Lettre à un ministre)…
Poursuivant la réflexion à partir de ces mots de François d’Assise, j’écrivais la semaine dernière qu’en quelque situation de mésentente que nous vivions, il importe que nous nous gardions de démarches prématurées ou « superlatives ». Assurément, dès lors que nous voudrons renouer avec l’autre en lui manifestant de la bienveillance, le mieux ne sera-t-il pas de toujours commencer par trouver une « petite porte » par où entrer chez lui ? C’est ainsi qu’on sera amené à commencer par poser des petits gestes significatifs : à doses homéopathiques, pourrait-on dire… N’est-ce d’ailleurs pas de la sorte que se vivent les naissances, les croissances, les mûrissements, et les régénérations, dans l’ordre de la nature ?… « Petits (re)commencements » qui, avant que d’être dans la « manière biblique », comme on sait, sont d’abord dans la « manière normale » des choses ici-bas…
Méfions-nous des « hormones réconciliatrices »… comme tout autant des « hormones pastorales », ces dernières ne manquant pas de revenir « en force » (!) aujourd’hui, en ces temps d’incertitude…
Rendons-nous attentifs à la « petite porte » qui peut s’offrir à nous pour un accès dans le cœur de l’autre… sans effraction ! Et surtout, dès lors que nous l’avons repérée et qu’elle semble pouvoir s’ouvrir, ne la ratons pas !… Osons croire que cela qui aura commencé par s’ouvrir tout petitement par le souffle discret de l’Esprit ne pourra que s’ouvrir toujours plus largement par la grâce de ce même souffle…
Je ne résiste pas à vous livrer cette belle page de Marie Vidal, bibliste, qui vient tellement bien à propos – allégée de ses références – pour évoquer à partir de la tradition juive cette « énergie nucléaire » comprise dans la plus petite démarche d’ouverture spirituelle : Le Midrash Rabba dit : « Le Saint (Dieu), béni soit-Il, dit à Israël : Ouvrez-moi une seule ouverture de conversion, comme la pointe aigüe d’une aiguille, et Moi, Je vous ouvrirai des ouvertures où entreront des chars à roues et des voitures ! » Voilà la préoccupation incessante des responsables du peuple de Dieu. Elle est exposée de diverses façons selon les circonstances : le peu donné par l’humain est indispensable afin de permettre le don illimité de la vie de Dieu. Exprimée d’une autre façon, elle donne à entendre : « Viens vers Moi, mais pour cela ouvre-Moi chez toi une place, ne serait-ce qu’une porte dans ton cœur pas plus grande que la pointe d’une aiguille, l’aiguisée d’une aiguille. Et Moi, Je vous ouvrirai une porte aussi grande que le portique du Temple (…) Cet appel à la disponibilité, mais aussi à l’exigence de l’engagement et du premier pas, appartient au vocabulaire, à la musique, et au rythme de Jésus, comme au vocabulaire, à la musique, et au rythme de son peuple. Jésus connaît et répète cet appel, comme le connaît et le répète son peuple Israël, né de l’audace du premier pas dans la mer Rouge. Répéter et redire cette audace, encore et encore… (Un Juif nommé Jésus – Une lecture de l’Évangile à la lumière de la Torah, Albin Michel, 1996, p. 28).
Et ce témoignage de Pierre Guilbert, prêtre de Paris, ne vient-il pas aussi bien à point pour notre propos ?…
J’avais seulement osé un petit « oui » de rien du tout. Le « oui » du monsieur qui se dit, à qui l’on dit, « ça ne peut pas durer comme ça ».Un « oui » infime, minuscule. Un « oui » qui n’avait encore entraîné aucun changement dans ma vie. Un « oui » que n’avait ratifié aucun effort.
Mais ce « oui » de rien du tout, ce « oui » infime et minuscule avait suffi pour qu’au cœur de moi-même quelque chose bascule, comme on se trouve brusquement délivré d’un carcan, sans même avoir bougé le petit doigt. Cela, je l’avais reçu. Et je ne m’en rendais même pas compte.
Avec un petit « oui » de rien du tout, un « oui » que tu dis à Dieu, voilà que, sans même le savoir, tu déclenches et mets en œuvre toute cette puissance d’amour, toute cette générosité de Dieu, qui n’est jamais en reste avec toi et qui déjà te rend au centuple ce que tu n’as qu’à peine commencé à donner. (La prière retrouvée, éd. Nouvelle Cité, 1981, p.15)
Votre Curé Henri Bastin