Et aime ceux qui te font ces choses. Et ne veuille rien d’autre que ce que le Seigneur te donnera.
Six semaines à la suite (avec une parenthèse laissée à la Lettre de notre évêque), nous avons médité sur ce passage de la réponse que fait François d’Assise au frère ministre qui se plaint du comportement d’un membre de la communauté qui lui est confiée.
Aujourd’hui, nous clôturerons cette série d’articles en nous arrêtant encore aux quelques mots qui suivent ceux que nous avons approfondis : Et aime-les en cela et ne veuille pas qu’ils soient meilleurs chrétiens.
Ne veuille pas qu’ils soient meilleurs chrétiens…
Propos surprenants, et même en quelque sorte scandaleux à première écoute !… Car quoi de plus normal pour un homme de Dieu que de souhaiter de tout son cœur que chacun de ses frères soit et devienne vraiment « chrétien », lié à Jésus-Christ et revêtant peu à peu son image ! Pas plus que tout croyant, François ne l’ignore.
Mais François révèle ici toute sa finesse de discernement… Il devine en effet dans ce souhait l’ambiguïté qu’il peut comporter.
Je peux en effet désirer ardemment la conversion de mon frère dont la conduite me blesse et me trouble. Ainsi je serai en paix et il ne sera plus un obstacle sur ma route. Un tel désir a quelque chose d’impur et c’est cela que François, faisant preuve d’une grande lucidité, dénonce…
Nous arrêtant un instant à la vie de nos communautés, ne devons-nous pas reconnaître que dans nos prières « pour que l’autre change » – dans des situations de blocage par exemple – il arrive quelquefois que nous cherchions davantage la solution à « nos problèmes » – pastoraux, par exemple – que le bien de la personne ?… Lorsque nous souffrons de la non-conversion d’un frère ou d’une sœur, souffrons-nous davantage pour lui-même ou pour l’inconfort dans lequel il nous met ? Et l’inconfort peut prendre beaucoup de noms !… Je peux en effet souffrir de la non-conversion du frère parce que cette situation abîme l’image de ma famille ou de l’idéal que j’ai voulu faire passer (quant à des enfants qui ne suivent pas la même route que leurs parents, par exemple…), abîme l’image que je voudrais sans ride de de mon unité pastorale ou de mon doyenné (quant à des groupes – ou des confrères… – qui restent réfractaires à telle ou telle orientation, par exemple…)…
Lorsque tel frère ou telle sœur « fait tache » sur le beau tableau que je voudrais présenter (en fin de ministère dans l’unité pastorale dont j’ai la charge, par exemple…), mes plaintes viennent-elles d’un souci authentique du bien de l’autre ? Ne peuvent-elles pas cacher un dépit par rapport à moi-même, par rapport à ce que je visais un peu trop humainement comme réussite ?… Assurément François nous aide (m’aide…) à débusquer toutes les impuretés de nos motivations ! Nous sommes ici ramenés par un autre biais à cette transparence dont nous parlions dans l’article précédent…
Oui, « faire miséricorde » !… Oui, pardonner !… Mais « faire miséricorde » et pardonner pour le seul bien de l’autre… Et, bien sûr, tant mieux si, par surcroît, l’autre répond favorablement à notre démarche !…
La miséricorde, le pardon « pour » l’autre, « en faveur » de l’autre, sans plus !…
La miséricorde, le pardon, sans condition, sans retour sur soi, « sans feed-back », comme il en est chez Dieu : où le Père ne vit que POUR le Fils et où le Fils ne vit que POUR le Père…
Dans son Hymne à l’amour saint Paul écrit : La charité ne cherche pas son intérêt (1 Co 13, 5)… Cela même que nous sommes appelés à vivre, se vit d’abord et sans aucune ombre, en Dieu…
Le « plus profond de Dieu », qui est de ne vivre que « pour », qui est de ne vivre que « en faveur » de l’autre…
Et dans l’Esprit Saint, qui nous faut-il donc reconnaître, sinon celui qui en personne est la transparence parfaite de ce désintéressement qui se vit de la sorte en la maison trinitaire… L’Esprit Saint… : est-ce par hasard que ces lignes me sont venues au jour de la Pentecôte ?… Et huit jours avant la fête de la Trinité que nous avons célébrée dimanche dernier ?…
Votre curé Henri Bastin