Homélie de la messe d’installation du curé de Stoumont, l’abbé Colomban NIYONSABA

Dimanche dernier l’abbé Colomban NIYONSABA a été installé curé de l’unité pastorale de Stoumont. Comme chaque fois, afin d’aider à tisser des liens entre les unités pastorales du doyenné de l’Ardenne, je vous livre le texte de l‘homélie (Sg 9, 13-18 et Lc 14, 25-33).

Frères et sœurs,

L’évangile que nous venons d’entendre est bien abrupt… Vous dirai-je que je l’ai trouvé plutôt raide pour une célébration telle que celle qui nous rassemble ?…

« Si quelqu’un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et sœurs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple. Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher à ma suite ne peut pas être mon disciple »…

Ces paroles de Jésus, frères et sœurs, je les ai « tournées et retournées », « priées et repriées », tout au long de la semaine, pour en tirer un message approprié à l’événement que nous vivons… Pour moi – je puis vous le dire – ce fut un véritable accouchement… pour peu que je puisse me rendre compte de ce qu’est un accouchement.

Comment allier l’austérité – et même la dureté – des propos de Jésus au climat de fête qu’il importe de vivre en ce jour de l’installation de votre curé, laquelle sera sûrement suivie d’un petit verre, j’en suis presque sûr ? Tel est – je dois bien le confier – l’écartèlement auquel j’ai été soumis.

Et c’est finalement un théologien allemand que j’affectionne, théologien sublime, dès lors qu’il fut aussi un martyr du nazisme, Dietrich Bonhoeffer, qui m’a mis sur la piste… Méditant sur l’invitation de Jésus à porter notre croix, Bonhoeffer s’arrête au mot « porter » et à partir de là ouvre de larges perspectives qui nous protègent d’une lecture trop doloriste de l’évangile de ce jour.

Est-il un mot qui convienne mieux que le mot « porter » pour dire l’acte d’aimer ?… Pour le peu que nous aimions quelqu’un, sans nous limiter aux seules déclarations d’amour, nous savons ce que cela veut dire que de « porter » l’autre… Et nous percevons tout en même temps jusqu’où cela peut nous conduire…

Sans conteste, c’est à Jésus lui-même que s’applique, plus qu’à tout autre et totalement, ce verbe « porter »… Jésus est celui qui comme nul autre dans l’histoire a « porté »… Il a « porté » l’humanité sans aucune réserve. Il l’a « portée » dans toutes ses dimensions d’ombre et de lumière. Il l’a « portée » jusqu’à l’extrême de l’amour et de la croix… Oui, l’amour qui fait « porter » à Jésus le tout de l’homme sans en rien laisser tomber… On comprend dès lors que Bonhoeffer puisse écrire : «  Il est frappant de constater que l’Ecriture parle souvent de porter. C’est que, par ce seul mot, elle peut exprimer toute l’œuvre accomplie par Jésus Christ » (De la vie communautaire, éd. Labor et Fides, 2007, p. 88).

« Porter »… Par là-même Jésus nous a manifesté que dès lors que nous disons que Dieu est amour (1 Jn 4, 8)… tout autant nous pouvons dire que Dieu est celui qui « porte ». Dieu est le « Porteur » par excellence. Assurément, qu’est-ce que ce mot ne peut pas évoquer dès lors qu’on ne pense qu’aux ascensions de montagnes… Dieu le « Porteur » !

Ne peut-on même pas oser dire qu’en la maison de Dieu, en son ciel, le Père, le Fils, et l’Esprit Saint se « portent » les uns les autres, en une danse éternelle ?… Là est leur bonheur…

Et lorsque Jésus vient parmi nous, nous « porter »… et nous « supporter »… et nous « porter à bras-le-corps » jusqu’à la croix, n’est-ce pas pour nous coller à lui et nous introduire dans ce bonheur de nous « porter » à notre tour les uns les autres, comme il en est dans le ciel de Dieu ?

Etre à la suite de Jésus de bons bergers les uns pour les autres en nous « portant » les uns les autres sur les épaules…

Etre à la suite de Jésus comme des mères qui « portent » leur enfant, le nourrissent, et l’amènent à grandir… Une mère ne trouve-telle pas tout son bonheur à ce « portement » d’amour, pourtant si éprouvant à certaines heures ?

Frères et sœurs, c’est à ce « portement » que tous nous sommes appelés – « portement de croix », il est vrai à certaines heures…

« ‘Portez-vous’ les uns les autres, aux moments de croix comme aux moments de joie, comme je vous ai ‘portés’  et ne cesse de vous ‘porter’, nous dit Jésus. Et vous trouverez dans ce ‘portement’ le bonheur, qui est le mien de toute éternité… La joie de mettre au monde, la joie de faire grandir… Et cela vaut pour vos couples, et cela vaut pour vos familles, et cela vaut pour vos villages… et cela aujourd’hui doit valoir de plus en plus pour la communauté chrétienne que vous êtes appelés à former en unité pastorale… Oui, de plus en plus, vous ‘porter’, vous ‘entreporter’ – comme dit François de Sales – vous ‘supporter’ aussi à certaines heures… et, par dessus tout, laisser Dieu vous ‘transporter’ toujours plus loin et ‘emporter’ toujours plus haut… Dieu, le ‘Porteur’ par excellence. »

« Porter »… Frères et sœurs, ce verbe s’adresse bien sûr à votre nouveau curé aujourd’hui de manière particulière… Est-ce un hasard que le premier mot qui soit dit pour situer son ministère, lors de la remise de l’étole, soit le mot charge : « Colomban reçois cette étole. Elle est le signe de la charge pastorale qui t’est confiée. » ? A la suite de Jésus votre nouveau curé est appelé à « porter » vos communautés… Une communauté, frères et sœurs, je le sais d’expérience, après 43 années de charge pastorale, elle est parfois lourde à « porter »… à « supporter », et à d’autre moments légère à « porter ». Je vous dirai même qu’il peut arriver qu’à certains jours on la « porte » en dansant… Des jours bénis !

Je souhaite que, pour votre nouveau curé, vous soyez le plus souvent un fardeau doux et léger (cf Mt 11, 30)… Mais il ne pourra en être ainsi que si, vous aussi, vous le « portez », et peut-être même deviez le « supporter » à certaines heures.

Chers amis de toutes les communautés ici présentes, « portez » ensemble Colomban par votre accueil, par votre encouragement, par votre collaboration commune… Et croyez-moi, de la sorte vous rendrez votre Colomban léger comme une colombe… Une colombe qui volera allègrement d’un village à l’autre, une colombe qui se posera  doucement sur une maison et puis sur l’autre… « portée » par le vent de l’Esprit que vous aurez aidé à se libérer en lui. Amen !

Votre Curé Henri Bastin

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