Dimanche 18 septembre, la communauté de Bellevaux était en fête pour célébrer la réouverture de l’église dont la restauration a été portée pendant des années, avec beaucoup de dévouement et de savoir-faire, par les membres de la Fabrique d’église. Je vous livre l’homélie de la messe de ce jour.
Frères et sœurs, chers amis,
L’évangile que nous venons d’entendre doit paraître bien obscur à plus d’un. J’en donnerais volontiers le commentaire, verset après verset, comme je le fais d’habitude, dans l’esprit de la « lectio divina ». Il m’apparaît plus opportun d’en dégager l’un ou l’autre éclairage pour l’événement qui nous réunit ce matin…
Cet évangile, de bout en bout, parle de l’argent. L’argent reçoit même le qualificatif de « malhonnête ». Doit-on s’en étonner, et peut-être aujourd’hui moins que jamais, dès lors que l’argent se prête si facilement et si communément à des visées ténébreuses et destructrices pour l’homme et pour son milieu de vie ?
L’évangile de ce jour est un appel insistant à ne pas se rendre esclave de l’argent, à ne pas s’y laisser prendre comme en une glu…
Gardez-vous de faire de l’argent votre dieu, gardez-vous d’en faire le but ultime de votre existence… Rendez-lui la fonction qui toujours devrait rester la sienne, à savoir la fonction de service : au service de la subsistance, au service de la justice, au service du partage, au service de la solidarité… et tout cela en vue d’un monde où il fait bon vivre ensemble…
On pourrait, à l’écoute de cet évangile, s’en tenir à ce seul message : et ce serait déjà très bien ! Beau message d’humanisme en lequel tous peuvent se retrouver… Pour l’ici-bas !
Mais, frères et sœurs, chers amis, l’appel de cet évangile vise infiniment « plus haut », si je puis dire… Il ouvre le regard vers les « demeures éternelles »…
Oui, Jésus parle de l’argent… Et à travers l’argent on peut reconnaître plus largement ces biens multiples qui s’offrent à nous ici-bas : notre santé, nos talents, nos dons, nos liens affectifs et sociaux, notre environnement… et tant d’autres bonnes choses.
Que nous dit Jésus ?… « Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles… » : Tout cela dont vous disposez journellement ici-bas, si vous en faites durant cette vie un usage désintéressé et généreux, si en cette vie vous le faites fructifier avec intelligence et énergie au bénéfice de tous… tout cela vous assure des alliés dans l’au-delà, vous garantit des reconnaissances futures, vous associe dès maintenant à de nombreux visages de l’au-delà qui, main dans la main, en réponse à tout ce que vous aurez donné ne pourront que vous ouvrir les portes des « demeures éternelles »…
Ces demeures éternelles, assurément Dieu brûle de vous y recevoir un jour, mais cela ne se pourra que si vous y mettez du vôtre… « Faites-vous des amis… »…
Quel rapport, frères et sœurs, chers amis, avec l’événement qui nous rassemble ce matin ? Qu’est-ce que ces propos ont à voir avec cette église dont nous célébrons la réouverture des portes aujourd’hui ? Quel rapport ? C’est que, frères et sœurs, chers amis, une église est avant toute chose (culturelle, archéologique, etc…) le signe de cet appel dont parle l’évangile que nous avons entendu… Toute église est le signe silencieux de la présence et de l’appel d’en-haut… : oui, de ces « demeures éternelles » qui nous attendent…
Le clocher de votre église qui pointe vers le ciel, ne semble-il pas saisir dans les bras de ses murs massifs tous les villages alentour – Bellevaux, Lamonriville, Lasnenville, Reculémont, Thioux…- pour les rendre au ciel auquel il appartiennent de naissance… pour les « reconnecter » à une origine divine assurément aujourd’hui trop souvent négligée, voire oubliée ?
Le clocher appelle discrètement… et peut-être trop souvent silencieusement… Il continuera d’appeler trop souvent silencieusement tant que – dans les limites des possibilités qui s’offrent aujourd’hui à nos communautés – nous ne lui rendrons pas davantage sa voix, la voix de ses cloches ?…
Comment faire – avec nos pasteurs – en ces temps sans aucun doute éprouvants, voire ingrats, pour nos communautés d’Eglise, pour les communautés rurales en premier ? Comment ? Ne pourrions-nous pas faire preuve d’autant de perspicacité et de finesse que ce gérant de l’évangile dont Jésus, sans justifier sa roublardise, loue cependant l’habileté à se tirer d’affaire ? Ne pourrions-nous pas faire preuve d’autant de « génie » pour une cause bonne entre toutes ?…
Qui serait prêt à s’engager ? Qui serait prêt à apporter sa pierre ?… Par exemple, pour collaborer aux haltes de prière qui vont se mettre sur pied, pour assurer une présence de recueillement ou de « gardiennage » du lieu ? Et que sais-je encore ?… Notre imagination, tellement féconde dans les domaines du social, de l’économique, du culturel, du touristique, le serait-elle donc moins dans le domaine de l’expression de notre foi ? Peut-être nos ancêtres auxquels nous ramène l’événement de ce jour pourraient-ils nous en réapprendre…
Qui serait prêt à marcher ? Qui serait prêt à se risquer ?…. Dites-moi, n’entendez-vous pas quelquefois tel ou tel soir, la plainte, peut-être même le cri, des pierres de votre église ?… Nombre d’églises en nos pays d’Occident pourraient bien sans tarder mourir de solitude comme il en est de tant de « vieux » dans les maisons de repos ?
Je suis tombé à Lourdes sur des lignes de l’écrivain français Martin STEFFENS, disant sa frustration, et même son indignation, à trouver les églises trop souvent fermées : « Les églises, fermées la semaine pour des raisons de sécurité, appartiennent désormais au patrimoine culturel. Elles ne sont plus que des marques touristiques. Elles ne sont plus les pierres dont Jésus nous disait qu’elles crieraient si l’on voulait, lui, le faire taire : nos églises sont un agréable décor pour se sentir en France. Elles ne sont plus des symboles au sens vrai et fort : un pied dans la porte, afin que l’homme ne se referme pas sur l’homme. Quelque chose qui montre le ciel. » (éd. Salvator, 2015 p. 33).
Ces lignes de Martin STEFFENS, j’ose espérer qu’elles ne s’appliqueront jamais à la demeure en laquelle nous sommes accueillis aujourd’hui… Mais je le redis : pour qu’il en soit ainsi, qui est prêt à s’engager, qui est prêt à se risquer… pour que les pierres de votre église soient des pierres vivantes, accueillantes, consolantes… revigorantes, pour tous ceux qui franchiront sa porte ?…
Sans aucun doute, votre église est-elle aujourd’hui en quelque sorte rebâtie… et « bellement »… Nous nous en réjouissons tous… Et nous allons encore le fêter autour d’un verre, et même de deux verres, voire de trois…
Mais toujours il importera de nous demander si, à l’intime de ses pierres et sous le tissu de ses ornements, cette demeure sans aucun doute chérie de tous gardera, à travers tout, son âme battant au rythme du cœur de Dieu, dans une foi, dans une espérance, dans une charité audacieuses…Croyez-moi, il y va de l’avenir de nos enfants pour des temps qui, nous pouvons le penser, ne promettent pas d’être faciles… : il nous suffit d’ouvrir les yeux !…
Votre Curé Henri Bastin