Il existe nombre de Vies de saint François (Vita)… Mais s’en trouve-t-il qui le présente comme un casseur, un casseur de murailles ?
Un casseur, un casseur de murailles !… C’est par cette image très suggestive que Gwenolé JEUSSET commence son chapitre présentant François comme Un homme entre deux îles.
La première muraille que François entreprit de casser fut la muraille de la forteresse d’Assise…
Nous le savons, François, grandissant, avait mené la vie facile d’un fils de bourgeois dans le magasin de son père et dans une fièvre de fêtes au milieu de la cité d’Assise.
A cette époque, dans les villes, un peu partout en Occident, apparaissait la classe des bourgeois, créatifs et pleins d’initiatives dans des activités avant tout commerciales et financières, et par là génératrices de plantureux revenus. Le père de François, Pierre Bernardone, riche drapier, appartenait à cette classe montante.
Germait en Italie, comme dans les autres régions d’Europe, un courant démocratique. Pour leurs entreprises, les bourgeois aspiraient en effet à avoir les coudées franches. Ils cherchaient à se défaire du joug d’une aristocratie avant tout terrienne, conservatrice, jalouse de ses pouvoirs, écrasante et tatillonne. Le symbole de ce pouvoir paralysant était marqué dans la pierre par les châteaux-forts qui dominaient les cités et les endroits stratégiques du pays.
Je ne résiste pas à vous citer quelques lignes de Julien GREEN, tant elles sont riches d’évocation de ce que pouvait être pour les habitants d’Assise la forteresse qui dominait la ville, la Rocca, forteresse aux mains de l’empire germanique, à cette époque maître de la ville par l’entremise du gouverneur, Conrad d’URSLINGEN, duc de Spolète : Trop d’Assisiates ont les yeux fixés sur cette Rocca Alta sourcilleuse qui rappelle sans cesse la domination étrangère. Sur la ville qui descend les dernières pentes du Subasio comme une joyeuse avalanche de toits aux tuiles fanées par le soleil, la Rocca veille, pareille à une monstrueuse bête de proie. Au-dessus de ses tours épaisses qui lui font un sinistre jupon de pierre, s’élèvent des donjons carrés juchés l’un sur l’autre comme pour voir plus loin de tous côtés. Orgueilleuse et méprisante, on ne pouvait la regarder d’en bas sans la maudire. Elle était là pour défendre Assise, elle la menaçait nuit et jour. Aujourd’hui encore, quand on est là-haut, on plonge droit dans les rues et l’on voit très bien ce qui se passe par exemple sur la place de San Rufino (la place de la cathédrale) (Frère François, Seuil, 1983, p. 48).
Connaissant François, on devine qu’en fils de bourgeois épris de liberté, et lui-même libre comme un oiseau, ainsi que si bien rendu dans le film François et le chemin du soleil, de Franco ZEFFIRELLI, il devait bouillir intérieurement à la vue de cette citadelle oppressante…
Et voilà qu’au printemps 1198, les Assisiates prennent d’assaut la Rocca. On a toutes les raisons de penser que, malgré son jeune âge – il n’a que 16 ans – François participe avec d’autres jeunes à la démolition de la forteresse.
Quelques années plus tard, dans la pénombre intime de la petite église Saint-Damien, le Seigneur lui dira : « François, ne vois-tu pas que ma maison tombe en ruines ? Va donc et répare-la moi ! » (3S, 13)… François commencera par accueillir ce message comme une invitation à reconstruire les églises de pierre : il en reconstruira trois… Mais petit à petit, il percevra ce message comme un appel à reconstruire cette Eglise – avec l’E majuscule – faite de pierres vivantes… Et c’est là justement qu’il va de plus en plus apparaître, consciemment ou non, comme un casseur non violent de toutes les murailles qui se sont érigées entre les hommes… et dans l’Eglise elle-même !
Votre curé, Henri Bastin