Homélie du 22ème dimanche ord. A : Prendre sa croix pour être disciple de Jésus-Christ !
Lectures : Jr 20; Ps 62; Rm 12, 1-2; Mt 16, 21-27
Chers amis, comme le sang coule dans nos veines pour nous donner la vie, comme l’eau irrigue la terre pour la nourrir, la Parole de Dieu nous imprègne. Elle transforme notre manière d’être, de parler, de penser et d’agir. Elle nous aide à traverser à gué et à pieds nus, la rivière de la vie.
Dans la 1ère lecture, Jérémie confie de manière pathétique le déchirement intérieur qui le turlupine : sa mission de prophète est exigeante et ingrate. Objet de mépris, d’insulte et de moquerie, il n’en peut plus : il est souvent tenté de capituler, tout abandonner … Mais c’est plus fort que lui, le « feu dévorant » de l’Amour de Dieu brûle dans son cœur. A la fin, il dira : « Seigneur, tu m’as séduit et je me suis laissé prendre, tu m’as terrassé, tu m’as vaincu, tu as été le plus fort ! » En effet, l’histoire de l’Eglise a connu des chrétiens (martyrs, saints, missionnaires, …) passionnés pour Jésus et son œuvre, qui ont fait cette expérience folle du feu de l’Amour de Dieu. Aujourd’hui encore, il y en a – et nous en sommes ! , qui envers et contre tout, malgré le silence de Dieu, malgré nos cierges allumés, nos pourquoi sans réponse, nos révoltes ; malgré les injustices, les indignations, notre monde déchristianisé et sécularisé, malgré tout ce qui peut les pousser à faire défection, ne plaquent pas leur foi ! Dans son chant « Je crois en toi « , Jean-Claude Gianadda écrit: « Malgré tout et quand même, je crois, tu vois !… » Et saint Pierre d’en rajouter : »Seigneur, à qui irions-nous, tu as les paroles de vie éternelle » (Jn 6, 68). C’est vrai, on est foncièrement attaché à son Dieu lorsqu’on vit avec lui une profonde intimité. Le psalmiste l’exprime en ces termes : « O mon Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube, j’ai soif de toi. Tout mon être languit, soupire après toi, comme une terre aride, desséchée, sans eau » (Ps 62, 1).
Dans l’Evangile, Jésus fait peu à peu la révélation de sa Passion, le grand mystère qui est au cœur de la foi chrétienne. Il fallait d’abord que ses disciples aient acquis quelque maturité spirituelle pour qu’il leur révèle certains mystères.
« Je vous ai donné du lait » dira saint Paul, « non pas de la nourriture solide, car vous n’aurez pas pu la supporter » (1 Co 3, 1-2)… « A partir de ce moment » écrit saint Mathieu, c’est-à-dire après avoir parcouru un bout de chemin avec ses disciples, après la profession de foi de Pierre de dimanche dernier, Jésus peut seulement s’avancer. Il sait que notre première compréhension de Dieu, c’est celle de la puissance : un Dieu de gloire, justicier redoutable qui (se) venge, écrase l’ennemi, punit l’infidèle… Oui, avec nos pseudo-représentations, nous nous façonnons un Dieu à notre image… Jésus nous fait alors comprendre que la vraie puissance de Dieu, ce n’est que celle de son amour gracieux, gratuit et sans condition. Cet amour passe absolument par le dépouillement, le renoncement à soi-même. D’où cette annonce qu’il fait à son sujet : il sera rejeté, souffrira, sera tué sauvagement, mais il se relèvera, car la vie en Dieu ne meurt pas. Pierre ne l’entend pas de cette oreille. Le portrait-robot du Christ qu’il a dessiné dans sa tête ne peut connaître pareille humiliation : « Dieu t’en garde, Seigneur« . Jésus va alors le rabrouer de manière frontale : « Passe derrière moi, Satan !« . Pourquoi cette vive réplique ? C’est parce que Pierre a touché un point sensible : aimer pour Jésus, ce n’est pas satisfaire ses envies de pouvoir, de succès, d’égoïsme, de narcissisme ainsi que Satan, l’adversaire de Dieu qui pousse à se soustraire à sa volonté, a voulu le lui faire croire dans les tentations au désert (Mt 4,1-11). Pour lui, aimer, c’est de bout en bout accepter de mourir à soi-même, car il n’y a pas d’amour plus grand que donner sa vie pour la personne que l’on aime. J’allais dire que cette allégation de Jésus est tout à fait logique : souvenons-nous de nos mille morts quotidiennes. Comment peut-on seulement pardonner à quelqu’un, aimer ses enfants, son épouse, son époux, ses amis sans s’oublier, sans renoncer à soi-même, sans se perdre ? Quand un enfant souffre atrocement, combien de fois n’ai-je pas entendu des mamans me dire : « J’aimerais tellement souffrir à sa place ! » … C’est ce prix-là qu’il faut payer pour être disciple de Jésus-Christ ! Il s’agit d’une conversion, d’un changement radical de regard : réaliser que l’homme n’est jamais aussi grand que lorsqu’il est à genou; accepter que c’est au mendiant du bonheur, que c’est à celui qui est dans le besoin que revient l’entière priorité, c’est lui qu’il faut servir en premier.
Chers amis, loin de faire l’apologie de la souffrance, du renoncement ou de l’abnégation, Jésus veut nous faire comprendre ceci – et c’est tellement cohérent : on ne peut pas aimer en vérité sans prendre sa croix, sans renoncer à son amour-propre, bref sans adhérer à l’exigence du dépouillement. La valeur d’une vie ne s’évalue pas à sa durée, encore moins à ses richesses matérielles, mais à sa qualité spirituelle, à sa richesse intérieure, à son taux d’utilité. . La vie est une offrande, quand on ne l’a donnée pas, on l’a perdue : vivre c’est aider l’autre à vivre. Il restera de toi ce que tu as donné !
Vital Nlandu, votre curé-doyen