Fête-Dieu, fête du Corps et du sang du Christ A : chair et sang pour la vie éternelle
Lectures : Dt 8, 2-16; 1 Co 10, 16-17; Jn 6, 51-58
Mes sœurs et mes frères, lorsqu’on se promène sur les places publiques de nos villages, de nos villes, à l’abri de nos cimetières, dans nos parcs, il n’est pas rare de découvrir par-ci par-là un monument dédié aux morts des 2 guerres ou encore une pierre gravée aux noms de ceux qui sont tombés. Parfois on écrit et c’est poignant: « Passant, n’oublie pas ! ». Ce devoir de mémoire nous rappelle l’atrocité de la guerre, l’affreuse stupidité humaine, le prix de la liberté ! Croyez-moi, un peuple sans mémoire, c’est comme un zèbre sans rayures, il n’a pas d’identité ! Dans la 1ère lecture, Moïse dit au peuple d’Israël : N’oublie pas, s’il te plaît! N’oublie pas la bienveillance du Seigneur lors de ta longue et éprouvante traversée de désert (40 ans), ce lieu terrifiant, aride, hostile, plein de serpents brûlants, de scorpions … Pour t’abreuver, le Seigneur a fait jaillir pour toi l’eau de la roche la plus dure; pour te nourrir, il a fait tomber du ciel une providentielle et mystérieuse nourriture, la manne! Le matin, quand pour la 1ère fois, tu as vu ce pain du ciel, tu t’es étonné en t’exclamant : « Qu’est-ce que c’est ? », dit en hébreu : »Man hou ? » D’où vient le mot « manne »…
Devoir de mémoire, dit Moïse, pour que tu saches que l’homme ne vit pas que de « pain matériel », autrement dit que tu apprennes à prioriser dans la vie : qu’est-ce qui est important pour toi, qui te fait vivre : ta famille, tes amis, le service rendu gratuitement, tes lectures, la prière, l’argent, le pouvoir… ? Quelle est la place de Dieu dans ton quotidien ?
Chers amis, selon la tradition, la manne préfigurait l’eucharistie. A la dernière Cène, Jésus a rappelé ce devoir de mémoire : « Faites ceci en mémoire de moi » (Lc 22, 19). La messe est donc notre mémoire de la vie de Jésus, de sa mort et de sa résurrection, et même plus, c’est un mémorial, c’est-à-dire la mémoire d’un événement passé certes, mais dont les effets sont mis à jour, actualisés, vécus en direct, en live…
Hélas, aujourd’hui encore, devant l’hostie consacrée, il y a des prêtres, des laïcs, des agnostiques, des athées qui s’exclament : »Man hou?« . Qu’est-ce que c’est ? Est-ce la présence réelle ou symbolique de Jésus, l’agneau pascal ? Ou est-ce une histoire de vampires ou de zombies, de la fantasmagorie ?… Oui, le mystère de l’eucharistie est épais, tellement grand en ceci : qu’un fragment d’un pain azyme devienne, grâce à l’invocation de l’Esprit Saint (épiclèse), le corps du Christ qui nourrit les affamés spirituels et les sauve! Il est grand ce mystère parce qu’il défie notre besoin de tout contrôler et de tout maîtriser. Souvent rivés et cramponnés à ce qui est évident, perceptif, rationnel, nous sommes invités à aller au large de la confiance et, humblement, à nous délester, à nous abandonner, à contempler et adorer. La foi en l’eucharistie n’est pas une adhésion intellectuelle, c’est un accueil du don de Dieu : « Le pain que je donnerai« , dit Jésus dans l’Evangile !
En effet, Jésus choque, il scandalise même ses interlocuteurs qui le prennent d’ailleurs pour un disjoncté ! Comment peut-il donner sa chair à manger, prend-il les gens pour des anthropophages, des cannibales ? Comment peut-il donner son sang à boire : ne sait- il pas que le sang est un tabou, un interdit culturel ? Si même la viande des animaux doit être vidée de son sang avant de la manger, comment peut-on alors imaginer boire du sang humain ? Le prenant pour un imposteur, beaucoup de disciples l’ont quitté !… Mais lui assène la vérité : » Si vous ne mangez pas ma chair, si vous ne buvez pas mon sang, vous n’aurez pas la vie en vous » En fait, c’est quoi l’enjeu ? C’est être nourri spirituellement, sinon on meurt.
Dans l’anthropologie biblique, la chair, c’est la personne elle-même. Manger, mâcher, c’est l’image de l’assimilation de la nourriture. Et boire du sang de quelqu’un évoque une communion profonde, intime avec lui. Par l’hostie consacrée, « Jésus demeure en moi et moi en lui« , je suis ainsi en communion avec lui, son sang coule dans mes veines. Saint Paul fait allusion à cette affinité dans la 2ème lecture : « La coupe de bénédiction que nous élevons à l’autel est communion au sang du Christ; le pain rompu sur le même autel est communion au corps du Christ« . Partant de cette conviction, il dira aux Galates : « Ce n’est plus moi qui vis, mais le Christ qui vit en moi » (Gal 2, 20). On comprend dès lors saint Augustin quand il dit : « Deviens ce que tu reçois« . C’est le théomorphisme dont parle Maurice Zundel : par le baptême, nous sommes configurés au Christ, appelés à manifester plus que jamais sa présence dans le monde : nous sommes sa bouche aujourd’hui pour annoncer l’Evangile du Royaume; ses yeux, son regard bienveillant; ses mains généreuses, son cœur aimant et miséricordieux …
Chers amis, grâce à la Fête-Dieu, nous savons appréhender à tout le moins l’étendue de l’Amour de Dieu pour l’homme : non seulement il s’est incarné pour partager notre destin humain (naître, vivre et mourir), mais il s’est fait en plus « pain offert » pour nous donner sa vie divine. Il s’agit du « pain de vie« , c’est-à-dire associé à sa mort. Ce pain, c’est la victoire de la vie sur la mort. Et il est donné pour « la vie du monde« . Telle est la portée universelle et cosmique de l’eucharistie. A ce sujet, Teilhard de Chardin parle de la « messe sur le monde » qu’il célèbre sur l’autel de la Terre entière. En ce moment, l’eucharistie procure un sentiment « océanique », sentiment de plénitude et de totale fusion à l’Univers. La messe aide ainsi l’Eglise à faire corps (unité) ; elle rassemble et jette des ponts entre les hommes de bonne volonté.
Vital Nlandu, Doyen de l’Ardenne