Homélie du 6ème dimanche ord A :
Lectures : Si 15, 15-20 ; Ps 118 ; 1 Co 2, 6-10 ; Mt 5, 17-37
Mes sœurs et mes frères, la page d’Evangile d’aujourd’hui montre bien le mouvement de ce que les théologiens appellent « l’économie du salut », c’est-à-dire l’évolution du plan de Dieu et sa réalisation, pour le salut des hommes, tout au long de l’histoire. Nous lisons : « Il a été dit jadis… Eh bien ! moi, je vous dis aujourd’hui« .
En effet, l’Evangile de saint Matthieu s’adresse principalement aux nouvelles communautés chrétiennes venues du judaïsme. La question fondamentale qui prévaut, c’est de faire ressortir la griffe de la nouveauté apportée par Jésus-Christ. Faut-il, somme toute, conserver les anciennes coutumes et lois, continuer de circoncire les enfants par exemple, de respecter le sabbat, de ne manger que l’alimentation « casher » …? Les antagonismes entre les anciens et les modernes, les tradis et les progressistes furent à bien des égards l’objet de la convocation du premier concile de l’Eglise (Ac 15). Et la controverse se poursuit de nos jours : tout dernièrement encore, on a longuement comparé feu le pape Benoît XVI avec le pape François. Et même hors de l’Eglise, le débat sur la diversification croissante des attitudes, des valeurs et intérêts des différentes strates d’âge, ce fameux « conflit des générations » est omniprésent au travail, en politique, dans les familles… Quant à lui, au lieu d’une rupture totale, Jésus plaide pour un continuum, une dynamique de l’économie du salut. Le Nouveau Testament a été greffé sur le vieil olivier de l’Ancien Testament, et toute la Bible est nourrie par la sève de l’Esprit Saint ; elle fleurit en Jésus-Christ. Aussi, puisque Jésus n’abolit pas l’ancienne loi, mais qu’il l’accomplit en lui donnant tout son sens, c’est à partir des lunettes de son Evangile qu’il convient d’interpréter les textes bibliques.
Dans la 2ème lecture, saint Paul souligne qu’il s’adresse aux chrétiens « adultes » dans la foi, autrement dit, qui savent ce qu’ils font et pourquoi ils le font. Chers amis, ces chrétiens-là, c’est vous aujourd’hui, car vous n’êtes pas des marionnettes, mais des femmes et des hommes libres et responsables. C’est pour que nous soyons libres que le Christ nous a sauvés (Ga 5, 1). La 1ère lecture fait écho à cette liberté : « Si tu le veux, tu peux respecter les commandements ; il dépend de ton choix de rester fidèle. Tu as devant toi l’eau et le feu, la vie et la mort : choisis ce que tu préfères« .
Souvent j’entends dire : « Moi je n’ai pas besoin de me confesser. Je ne tue pas, je ne vole pas, je n’ai pas d’ennemi. Je suis en règle, je fais ce que je dois faire« . Ok, c’est bon tout ça, mais ce sont là des actes « extérieurs » dont s’occupe principalement la justice des hommes. La justice de Dieu se préoccupe plutôt du for intérieur, du tribunal de la conscience, du secret du cœur, des intentions profondes de chacun. De fait, l’homme peut faire n’importe quoi en ce qui concerne par exemple l’affectivité, pourvu que cela soit motivé par de bonnes intentions. « Aime » écrit saint Augustin, « et fais ce que tu veux« … Antoine Nouis raconte qu’un jour, un père du désert chemine sur une route avec son disciple lorsqu’ils croisent une très jolie femme montée sur un âne. Le vieillard lève sur elle un regard admiratif tandis que son disciple garde son regard sur ses chaussures, de peur de succomber à la de convoitise. Quelques kilomètres plus loin, le disciple interroge son maître : « Pourquoi as-tu donc posé les yeux sur cette jolie femme ? » Réponse : « Tu vois, cette dame t’a charmé, tu penses encore à elle. Tu l’as regardée comme une source de tentation, alors que moi je l’ai regardée comme une des merveilles de la création de Dieu ! « …
Tout dépend finalement de la bienveillance du regard et des visées que l’on cache au tréfonds de soi, et c’est particulièrement le cas quand il s’agit de la vertu de donner.
L »important n’est pas ce que l’on donne, mais l’amour que l’on y met. Il y en a qui donnent pour s’afficher, pour enchaîner celui qui reçoit (« Malgré ce que j’ai fait pour lui, voilà ce que j’en reçois« ), pour faire du troc affectif, ou encore pour se dédouaner en conscience. Quand on donne avec une arrière-pensée de retour, le don est stratégique et manipulateur… D’autres donnent de leur superflu. Sur ce, le pape François écrit : « Je me méfie des dons qui ne coûtent rien au donateur« .
Chers amis, que par la grâce de cette eucharistie, Dieu nous donne de vivre pleinement dans la liberté des enfants de Dieu, et d’être des femmes et des hommes responsables de l’alliance de leur baptême.
Vital Nlandu, votre curé-doyen