Homélie du 7ème dimanche ord A :
Lectures : Lv 19, 1-2.17-18; Ps 102; 1 Co 16-23; Mt 5, 38-48
Mes sœurs et mes frères, se laisser faire ne serait-il pas un signe de faiblesse et de naïveté, une lâcheté qui cautionne les injustices ? Qui fait l’âne, doit-il s’étonner que les autres lui montent dessus ? En responsabilité civile, la justice réparatrice stipule que lorsqu’on a été lésé, on est en droit de réclamer d’être dédommagé. « Si quelqu’un t’a mordu » dit un proverbe africain, « c’est pour te rappeler que tu as aussi des dents« . La vengeance est un instinct naturel, qui est parfois spontané et inconscient.
Cependant, depuis les temps les plus anciens, la logique des représailles a toujours généré des rapports tendus et conflictuels, incitant à répondre au mal de manière brutale et inflexible. Chez les juifs, avant la loi du Talion, ce qui prévalait, c’était la démesure de la vendetta intempestive (Gn 4, 23-24). Tu me casses une dent, et si jamais je suis le plus fort, je te brise la mâchoire ; tu m’insultes, et si jamais je suis impitoyable et féroce, je sors mon couteau pour t’égorger. Etant donné ces débordements, pour éviter le chaos, il devenait urgent de trouver un coefficient de proportionnalité : le châtiment doit être proportionné à l’offense. Aussi, la législation hébraïque opta pour la loi du Talion : « Œil pour œil, dent pour dent », autrement dit ni plus ni moins, coup pour coup, insulte pour insulte, brûlure pour brûlure (cf. Ex.21, 23-25) ! Cette conception archaïque du droit a inspiré la logique de la peine de mort encore de mise dans certains pays comme les USA, l’Iran, l’Arabie Saoudite… Mais l’expérience montre que répondre au mal par le mal n’arrête pas le mal, loin s’en faut. La haine et la violence sont toujours un échec. De la même manière qu’une chemise blanche tachée de sang ne redevient pas blanche si on la trempe dans un bassin de sang… Et puis, répondre à la barbarie par la barbarie, n’est-ce pas trahir les valeurs au nom desquelles on se bat ? A. Camus l’exprime en ces termes : « Chaque fois qu’un opprimé prend les armes au nom de la justice, il fait un pas dans le camp de l’injustice ».
D’où cette question lancinante : comment sortir de la spirale infernale du déferlement de la haine, cette plaie qui défigure l’humanité depuis les origines ? Voici la réponse de Jésus : « Vous avez appris qu’il a été dit : œil pour œil, dent pour dent. Eh bien ! moi je vous dis de ne pas riposter au méchant ; mais si quelqu’un te gifle sur la joue droite, tends-lui encore l’autre » (Mt 5, 38-39). Bien entendu, le conseil de Jésus ne s’applique pas à la lettre. Il ne nous invite pas à nous laisser tondre la laine sur le dos comme le mouton ou à faire le gros con en nous résignant à subir des outrages sans réagir. Lui-même n’a pas osé présenter l’autre joue lorsqu’un soldat impertinent lui flanqua une gifle au moment de sa Passion. Mais calmement et dignement, sans se laisser écrabouiller, il a voulu faire entendre raison à son agresseur, l’aidant à se remettre en question : « Si j’ai dit quelque chose de mal, montre-moi en quoi ; mais si ce que j’ai dit est juste, pourquoi donc me frappes-tu ? » (Jn 18, 23). « Présenter l’autre joue », c’est présenter un autre visage que celui du vengeur justicier, le visage de la non-violence. Ce que Jésus nous suggère, c’est vaincre le mal par le bien, la haine par l’amour (Rm 12, 21). Autrement, avec l’œil pour œil, on finit tous aveugles ! On le sait, la haine n’apaise pas la souffrance, elle l’entretient au contraire. Un cœur qui brasse rancœur, répulsion et ressentiment n’est pas en paix ; il vit un enfer. Les apôtres de la non-violence comme Gandhi, Martin Luther King, Nelson Mandela, le Dalaï-Lama et tant d’autres ont toujours cru dur comme fer que, comme l’écrit Henry David Thoreau, « Il n’y a qu’un remède à l’amour, aimer davantage«
Aussi, être disciple de Jésus, c’est consentir à imiter son Père et notre Père (Ep 5, 1), qui n’agit pas envers nous selon nos fautes (Ps 102). Et l’imiter, c’est rechercher la sainteté (1ère lecture); c’est aimer de l’amour-agapè dont il nous aime, c’est-à-dire de manière toute pure, désintéressée, détachée, gratuite et inconditionnelle. En effet, l’amour-agapè est parfait, achevé, accompli. Il pose notamment l’acte le plus puissant qu’il soit donné à un homme d’accomplir, à savoir aimer y compris ses ennemis. La personne transformée de l’intérieur par l’agapè devient bienveillante. Elle acquiert cette maturité humaine et spirituelle qui lui permet de faire la distinction entre la faute à reprouver absolument et la personne qui l’a commise qui, cependant, garde sa dignité de frère, de sœur en humanité et son droit à l’amour.
Chers amis, puisque chacun de nous est un sanctuaire de Dieu, une demeure de l’Esprit Saint (2ème lecture), c’est à l’amour-agapè que Dieu nous convie.
Vital Nlandu, votre curé-doyen