Dans mon dernier article sur la prière de supplication (44/12), qui sera le thème de la prochaine retraite de l’Unité pastorale, j’invitais à supplier, et à supplier encore!… Aujourd’hui, j’aborde une première dimension dans laquelle cette prière est appelée à se vivre : la dimension du « cœur ».
Lorsque nous sommes dans la détresse, nous risquons de nous laisser parfois contaminer par une prière magique. La prière magique est cette prière qui force la main de Dieu. Ainsi en est-il des chaînes de prière qu’on nous enjoint de prolonger en recopiant un texte polycopié qu’il faut envoyer sans faute à un autre ou à « douze autres »… Ainsi en est-il aussi lorsqu’on nous pousse à redire mot à mot une formule de prière dont on nous assure qu’elle présente toutes les garanties d’efficacité : « Si tu dis cette prière autant de fois, la réponse du ciel viendra, infaillible ! Cette formule marche toujours! »… Ces invitations à la prière magique prennent l’allure d’un chantage, dès lors qu’on se voit menacé des pires maux si on n’y répond pas : si on coupe la chaîne, par exemple. Face à ces formules ou prières magiques, il importe de réentendre la parole de Jésus : Dans vos prières, ne rabâchez pas comme les païens: ils s’imaginent qu’en parlant beaucoup ils se feront mieux écouter. N’allez pas faire comme eux; car votre Père sait bien ce qu’il vous faut, avant que vous le lui demandiez (Mt 6,7). La prière magique est toujours « une prière dans le dos », qui veut arracher quelque chose à Dieu comme par effraction. Bien au contraire, la prière selon Jésus est une demande dans le face à face confiant avec le Seigneur. La prière magique navigue à l’aventure sur les flots mouvants de l’inconscient et de la peur. Elle s’exprime en bouffées inquiètes : bouffées de mots qui, telles des vagues, veulent submerger Dieu. Ambiguë, confuse, il n’est pas rare qu’elle s’accompagne de tout un arsenal de formules (même pieuses !), de gesticulations… et d’instruments de divination (le pendule)… Nos régions y échappent-elles?… Bien plutôt que de rencontrer le Dieu de Jésus Christ, les prières magiques courtisent une divinité vague, une divinité, « brumeuse » et imprévisible « qu’il vaut toujours mieux avoir de son côté ». Le Dieu de Jésus Christ n’est en aucun cas une divinité vague, cosmique ou autre. Le Dieu de Jésus Christ est Quelqu’un. Il a un nom: « Père ». Il a un visage… Il a un cœur… Et même, plus justement dit, Dieu est cœur, selon la belle formule de Maurice Zundel. Notre prière à Dieu et avec Dieu sera dès lors un face à face dans lequel Dieu et l’homme s’appellent mutuellement par leur nom: « Henri! » (cf. Ac 10, 2,3)… « Père! »… Une prière vécue dans la clarté, dans la liberté de deux cœurs qui se rencontrent… et qui se parlent « du fond du cœur »…
En chacun de nous gisent des abîmes mystérieux d’inconnu, de doute, de violence, de désirs charnels et de peines intimes. Nous sentons aussi des gouffres de culpabilité, des besoins inavoués, des pulsions anarchiques, au point que s’ouvrent les immensités d’un vide. Laissons l’Esprit descendre jusque dans ces profondeurs avec la confiance de l’enfant qui crie : »Abba ! Père ! » (Rm 8,15). Un jour, tous nos abîmes seront habités par Jésus ressuscités, et notre vie sera devenue prière jusque dans ses arrières-cellules. (J. Lafrance, La puissance de la prière, abbaye Ste-Scholastique, Dourgne (F.81), 3ème édition, 1983, p. 124)
Henri Bastin