Je vois ce « Mot du curé » plutôt comme un « texte-chantier ». Il s’inscrit dans une suite de questions et de réflexions qui me sont venues de plusieurs personnes, plus particulièrement à l‘occasion de la Fête de la Toussaint et de la Commémoration des Fidèles Défunts. Je serais heureux qu’il puisse faire se continuer la recherche et susciter le dialogue.
Il arrive que des personnes me disent leur étonnement devant le fait que le violet soit maintenu comme la couleur liturgique des funérailles.
Ils verraient le blanc de Pâques comme bien plus approprié… Je dois dire que ces personnes sont souvent, plus que bien d’autres, très ferventes et habitées par une foi profonde en la résurrection…
Il est vrai – et cela se comprend aisément – que la liturgie des funérailles est moment privilégié entre tous pour la célébration de la victoire pascale du Christ sur la mort et sur toute mort (1 Co 15, 58) : ne s’ouvre-t-elle d’ailleurs pas par le rite de la lumière pascale dont on entoure le corps du défunt ?…
Mais si chaque année, de la veillée pascale à la Pentecôte, l’orgue peut laisser sortir ses grands jeux, le moment des funérailles ne demande-t-il pas cependant une certaine retenue ? Certains diront que tact et sagesse suffiraient déjà à justifier cette retenue : n’arrive-t-il pas en effet qu’on éprouve un certain malaise lorsque dans la célébration de funérailles la dimension du deuil et des larmes est escamotée ?… La retenue demandée trouve cependant une justification plus profonde, laquelle est d’ordre spirituel : il s’agit de cette dimension de péché dont le défunt est marqué – comme il en est de tout homme – et qui fait que la célébration, tout en même temps que de proclamation de victoire, est de supplication. En effet, le pardon de Dieu auquel nous croyons pour le frère défunt n’est jamais un droit – comme tout pardon, d’ailleurs -, mais demeure toujours la grâce qu’il importe de demander et d’accueillir sur fond de repentance… Dois-je dire que j’éprouve quelquefois une gêne lors de certaines célébrations de funérailles ? Je veux parler de ces célébrations qui donnent à penser que le salut, le bonheur éternel, le « paradis », sont d’office acquis au moment de la mort, sans qu’on n’ait « rien fait pour »… : un salut qui nous viendrait – pardonnez-moi l’expression… – « comme une lettre à la poste ».
La dimension d’espérance et d’attente est évacuée : la dimension de l’espérance et de l’attente que symbolise précisément le violet, cette couleur qui, par son mélange discret de lumière et d’ombre, fait doucement obstacle à toute suffisance… et aussi parfois à l’inconvenance dans les éloges.
L’inconvenance dans les éloges… Si sans aucun doute l’hommage est légitime et même souhaitable, il faut cependant reconnaître qu’il arrive que des funérailles se muent en un véritable culte rendu au défunt… : presque une canonisation !… On peut d’ailleurs se demander si les mêmes propos auraient été tenus de son vivant ?
En définitive, quelle image de Dieu se cache, pour une part, derrière ces pratiques ?…
On affirmera que Dieu est miséricorde, et assurément, on n’y insistera jamais assez… C’est bien pourquoi, quelles que soient nos dérives ou celles de nos frères humains, toujours nous pouvons (et nous devons !) espérer… : pour nous-mêmes et pour tous ! … Espérer pour tous (cf. H. Urs von Balthasar)
Mais si sans conteste, avec le Dieu révélé en Jésus-Christ, la miséricorde aura toujours le dernier mot (et heureusement !), elle ne se fera jamais sans que s’exerce cependant un jugement sur nos actes. Pouvons-nous en effet tenir d’un Dieu qui ne serait qu’amour sans que la justice y trouve son compte ?… L’Ecriture ne dit-elle pas : Amour et Vérité se rencontrent (Ps. 85, 11) ? Pouvons-nous imaginer un instant que le bourreau le plus abject puisse un jour s’asseoir sans plus – allègrement ! – à côté de sa victime dans le Royaume ?…
Sans aucun doute, Dieu attend-il de faire goûter son pardon aux pécheurs que nous sommes tous. Mais encore faut-il que nous acceptions de « passer » par les grandes eaux de la purification. Et où coulent-t-elles donc ces grandes eaux de la purification, sinon là où enfin se libère le flot débordant de nos larmes de repentance et de réparation… Le purgatoire n’est-il pas justement le lent et douloureux creusement de nos cœurs qui peut déjà, si nous le voulons, commencer dès cette vie… le lent et douloureux creusement de nos cœurs au travers des couches d’endurcissement accumulées au long des années : pour qu’enfin la source soit mise au jour ? Ce lent et douloureux creusement, si pour une part il dépend de nous (lorsque nous sommes encore ici-bas) et du soutien priant de nos frères (lorsque nous sommes passés dans l’au-delà) restera cependant toujours et avant tout œuvre de Dieu… Seul Dieu sait jusqu’à quelles profondeurs de péché il lui faudra aller pour chacun d’entre nous… Et lui seul pourra aussi descendre et creuser aux pires abîmes de nos vies sans que jamais il y perde cœur… : pour nous y saisir, pour nous y laver, et nous y recréer dans le flot des grandes eaux d’un baptême de renaissance enfin mené à son accomplissement…
Cet accomplissement, au terme du lent et douloureux creusement, puissions-nous l’espérer, le vouloir, l’attendre, pour tous nos frères humains, sans qu’un seul soit laissé sur le bord du chemin…
Le violet de nos funérailles… : humble et douce couleur de l’attente pour tous… au long du creusement…
Humble et douce couleur de l’attente pour les pauvres pécheurs que nous sommes tous ! Frères et sœurs, allons-nous donc forcer les portes du ciel en nous revêtant de blanc avant l’heure ?…
Votre curé, Henri Bastin