(Mc 12, 41- 44)
Le petit récit évangélique qui vient de vous être proclamé est celui qui a été entendu dans toutes les églises du monde, dimanche dernier (32ème dimanche ordinaire, année B).
Si je le reprends aujourd’hui avec vous, c’est parce que j’y trouve un message d’une grande et belle actualité pour nos institutions civiles, sociales, culturelles, religieuses, et autres…
Vous savez comme moi à quel point aujourd’hui l’apparence, la vitrine, le publicitaire, et bien sûr aussi le rendement, qui leur est lié, prennent le dessus… : viennent au-devant de la scène – c’est le cas de le dire ! – … Et assurément, le risque n’est pas illusoire que la scène prenne toute la place, sans qu’il y ait encore beaucoup d’arrière-fond… M’habitait ces derniers jours une image en réfléchissant à certaines institutions d’Eglise qui passent par une grande crise : l’image d’un grand arbre !… Sans doute, en apparence, se trouve-t-il encore beaucoup de branches et de feuilles, et même de fruits, au grand arbre de ces institutions parfois vénérables, mais on ne peut ignorer qu’à bien des égards l’intérieur du tronc se vide considérablement…
L’apparence, le tangible, les vitrines, le clinquant, la monnaie « sonnante et trébuchante »…. Et, en bien des endroits, les millions qui roulent, et les grands projets qui roulent et qui roulent, à n’en plus finir… Enseignes et publicités… C’est ce qu’évoque pour moi le passage où il est dit : Beaucoup de riches mettaient de grosses sommes dans le trésor du Temple…
Beaucoup, riches, sommes, grosses sommes : remarquez tous ces termes qui disent la quantité, le comptabilisable, le calcul…. Oui, le monde des « valeurs sûres », comme on dit, des « bons placements »…. Un tien vaut mieux que deux tu l’auras… Dans ce même monde des « bons placements », notre société nous fait « admirer » des colosses architecturaux, environnementaux, muséaux, et autres… et aussi des colosses « sociaux » – des entreprises philanthropiques d’envergure – même dans nos institutions d’Eglise… Loin de moi de nier la nécessité et aussi parfois la criante urgence de ces institutions, de ces entreprises… : lorsque tous, et d’abord les plus déshérités, y trouvent leur compte de bien-être et de beauté…
Mais je vois l’arrivée de la petite veuve de l’évangile comme venant tout petitement mettre une question – comme un grain de sable salutaire… – en tout cela : pour nous tous, sans exception !… Car qui n’est engagé, même à très petite échelle, dans une entreprise à laquelle il voue toute son énergie ?
La petite veuve, je la vois qui amène sa question – humblement posée – comme est modestement, si modestement déposée, sa menue monnaie dans le tronc du Temple : Une pauvre veuve s’avança et déposa deux piécettes… Il est dit d’elle qu’elle a mis dans le tronc plus que tout le monde, plus que tout ce monde de gens à la générosité si comptabilisable, à la générosité si louable… et parfois si incontournable…
La petite veuve, elle ne sera pas à la une des journaux !… Non ! Car son trajet à petits pas n’est pas repérable, n’est pas comparable, n’est pas « vitrinable »… En effet, son trajet est enfoui, comme une perle cachée, dans le terreau profond et obscur de sa conscience…
Eux, les premiers cités – Ils sont toujours les premiers dont on parle ! Et n’en suis-je pas, à certaines heures ? – ils ont sans doute donné « de » leur personne… « De » leur personne… : cela veut dire qu’ils ont donné « une partie » de leur personne… Et c’est assurément déjà très bien !… Mais ils ont gardé une réserve sur le côté, derrière la scène, ou la vitrine… : réserve de biens, réserve de popularité, réserve de gloire pour la postérité… C’est assurément tellement difficile, pour qui que ce soit, de tout lâcher… surtout de se « lâcher soi-même » !…
La petite veuve, elle, n’a pas donné « de » sa personne. Elle n’a pas donné « une partie ». Elle a tout donné… tout donné d’elle-même… sans réserve : deux piécettes, tout son bien… toute sa subsistance… toute sa substance !… Aucune réserve derrière la vitrine, car, de toute manière, il n’y a pas de vitrine chez elle ! Elle a tout donné… Autant dire qu’elle a tout risqué…
Chers amis, la question qui m’est posée à moi, dans mes entreprises, au niveau du service pastoral qui m’est y confié, au niveau des entreprises de plus grande envergure où je me retrouve parfois engagé – comme ces jours-ci, avec la visite pastorale de notre évêque au doyenné de l’Ardenne – cette question, je vous la renvoie fraternellement (fraternellement : Malmedy est un peu comme une famille… Non ?) : « Donnes-tu seulement « de » ta personne ? Ou bien, plus profondément, dans le terreau secret de ta conscience, oses-tu risquer « toute » ta personne ?…
Avancer à petits pas comme la petite veuve sans vouloir voir… et surtout sans vouloir se faire voir… Deux piécettes de popularité risquées, sacrifiées, sur l’autel de la conscience, coûtent parfois bien plus cher que des grosses sommes d’argent et de talents sacrifiés sur les vitrines du monde… et de l’Eglise.
Notre monde, la paix à laquelle il aspire… : n’a-t-t-il pas plus que jamais besoin qu’en chacun de nous se réveille la petite veuve… la petite veuve qui sans bruit, n’attend que de mener ses modestes petits pas ?… Les petits pas de la conscience… Sans voir… De toute manière ceux qui se font voir se font « avoir » tôt ou tard !
Oui, là est tout le choix entre les colosses transitoires à pieds d’argile et les petites piécettes enfouies comme des graines dans un terreau qui ne décevra pas, qui ne mentira pas…
Bastin, curé-doyen