Homélie du 3ème dimanche C du Carême : Enigme du mal et de la souffrance
Lectures: Ex 3, 1s; Ps 102; 1 Co 10, 1s; Lc 13, 1-9
Mes sœurs et mes frères, dans la 1ère lecture, Moïse s’avance vers le buisson ardent en prenant un détour. A bien des égards, notre chemin vers Dieu est fait de méandres sinueux.
Au regard de l’actualité, nous cherchons tous à comprendre pourquoi la folie, la cruauté de l’homme –homo homini lupus !-, pourquoi la guerre en Ukraine ? Moi je suis sidéré et horrifié par ces images de destructions massives à la TV, le traumatisme d’enfants, l’humiliation d’un peuple souverain ! Il y en a qui, à juste titre, les yeux levés au ciel, se demandent : pourquoi Dieu, s’il existe, s’il est vivant, laisse-t-il faire le mal ? Ne joue-t-il pas aux abonnés absents ?
Chers amis, il y a 10 ans, j’ai vécu, dans mon ministère sacerdotal, une expérience pour le moins bouleversante : j’ai été sollicité pour baptiser à domicile un bébé de 8 mois atteint d’un cancer du cerveau. C’était éprouvant ce samedi-là… Quand je suis entré dans la maison, certains me fusillaient du regard comme pour dire : « Que viens-tu faire, nous parler d’un Dieu d’amour qui laisse le malheur s’acharner sur un innocent ?« . Oui, le scandale du mal et de la souffrance peut provoquer la révolte et même pousser à la défection de la foi !… Un mois après : les jeunes parents me téléphonent à 2h00 du matin, ils avaient besoin de ma présence. J’y suis allé sur-le-champ. Le climat était pesant et j’ai vite plongé dans cette espèce de conspiration du silence… Je vois encore cet enfant gisant sur le lit de ses parents, tout recroquevillé, gémissant intensément des douleurs qui, certainement, dépassaient le seuil de ce qui est supportable. Et qui voilà ? Un médecin et une infirmière ! Alors, j’ai compris ! A cet instant d’euthanasie, démuni, dans le secret de mon cœur, je priais pour ce petit ange en disant simplement : « Jésus, Jésus, Jésus« , c’est-à-dire : « Dieu sauve !« …
Dans son ouvrage La nuit, Elie Wiesel se demande : « Comment peut-on seulement penser à un dieu après Auschwitz? » Il rapporte cette scène cauchemardesque : ce jour-là, les SS pendent un enfant de 12 ans et tous les prisonniers sont obligés d’assister au spectacle. Avec son petit corps tout disloqué, cyanosé, l’enfant agonise, s’éteint lentement. Derrière lui, Elie Wiesel entend un autre déporté lui demander tout pantois : « Où est donc Dieu ? » « Je sentais en moi » témoigne-t-il, « une voix qui lui répondait : où est-il ? Il est là, pendu à cette potence avec l’enfant ! » C’est vrai, chers amis, « Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance. Il n’est même pas venu l’expliquer, mais il est venu la remplir de sa présence » (Paul Claudel).
En même temps qu’il demeure un épais mystère, rationnellement inaccessible (Moïse se voile le visage en sa présence), notre Dieu est si proche ! Il est avec nous dans les tragédies qui affectent notre vie quotidienne : « J’ai vu la misère de mon peuple, j’ai entendu ses cris de détresse, je connais ses souffrances, je suis descendu pour le délivrer » (1ère lecture). Il a délivré son peuple par Moïse ; il délivre aujourd’hui les ukrainiens par l’entremise de celles et de ceux qui résistent dans le sang, au creuset des bombardements ; par celles et ceux qui les accueillent, contribuent à la sauvegarde de leur dignité humaine.
Aujourd’hui, Jésus n’a pas de pieds, mais il a les tiens pour visiter les malades ; il n’a pas de mains, mais il a les tiennes pour donner et partager ; il n’a pas de langue mais il a la tienne pour dénoncer les injustices et porter haut l’urgence de la paix ; il n’a pas de lèvres, mais il a les tiennes pour sourire aux naufragés de la vie et enflammer leur cœur de l’amour et de l’assurance…
Dans l’Evangile, il est rapporté à Jésus le drame des galiléens massacrés comme du bétail par Pilate, le dictateur sanguinaire, mais aussi la catastrophe de la chute de la tour de Siloé. Qui en est le responsable (Jn 9, 3) ? Serait-ce l’homme, serait-ce Dieu ? Dans la logique karmique, tout se paie ici- bas : si on est victime, c’est parce qu’on a péché; nos malheurs sont une punition de Dieu. Combien de fois n’entend-on pas dire : « Qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour mériter ça ? «
Jésus va alors élever le débat au niveau spirituel. En effet, il est trop facile de se retrancher dans l’accusation de Dieu et des autres. Aussi nous renvoie-t-il tous à notre propre conscience. Il y a tant de souffrances dans le monde qui sont imputables au cœur de pierre de l’homme. D’où l’urgence de la conversion : que chacun soit d’abord humain et humanisant; qu’il soit le changement qu’il veut voir dans le monde (Ghandi). Et prenons ceci en compte : si Dieu nous accorde le temps de sursis qui est le nôtre, c’est parce qu’il est patient, il attend que nous produisions des fruits.
Vital Nlandu, votre curé-doyen