Alors Jésus lui adressa la parole :
« Que veux-tu que je fasse pour toi ? »
L’aveugle lui répondit :
« Rabbouni, que je retrouve la vue ! »
– « Que veux-tu que je fasse pour toi ? »… Une fois dans l’intimité du Maître, Jésus lui pose cette question qui surprend, tant le besoin de l’aveugle est évident. Mais Jésus respecte toujours la liberté de l’homme (cf. Jn 5, 6). Notons que si nous considérons la scène dans la perspective baptismale, la question ne surprend plus, car il faut quel le candidat à l’ « Illumination » fasse sa « profession de foi » personnelle.
Jésus qui respecte la liberté de l’homme… Jésus qui attend une démarche de l’homme, car la guérison (et forcément le salut !) est tout sauf magique. Nous retrouvons cette dimension du face à face – du cœur à cœur – dont nous avons parlé au début de notre méditation… Ceux qui font l’expérience des prières de guérison savent que toujours on invite le « demandeur » à exprimer sa demande : « Pour quoi veux-tu qu’on prie pour toi ? »
– « Rabbouni, que je retrouve la vue ! »… Rabbouni signifie « mon Maître », avec une note de vénération et de familiarité plus forte que Rabbi. On retrouve une seule fois dans les évangiles cette même appellation, dans la bouche de Marie de Magdala, en Jn 20, 16…
Que je retrouve la vue !… : le passage des ténèbres à la lumière. Cette demande vaut pour les yeux du corps, mais infiniment plus encore pour les yeux du cœur : en fait pour l’homme tout entier ! C’est bien pourquoi, Jésus va parler de salut…
Henri Bastin
Jésus lui dit : « Va, ta foi t’a sauvé » Et aussitôt il recouvra la vue et il
cheminait à sa suite (Mc 10, 52)…
Bartimée (11)
– Jésus lui dit : « Va, ta foi t’a sauvé »… La demande que je retrouve la vue est la moindre des choses de la part d’un aveugle… Mais assurément, le besoin exprimé renvoie bien plus profond qu’à une attente de guérison physique… : une profondeur insoupçonnée à l’aveugle et à l’assistance… Peut-il en aller autrement dès lors que notre prière de supplication se fraie son chemin en droiture de cœur, dans le désir d’être de plus en plus accordé à la volonté de Dieu ?… C’est par ce chemin que nous vient la révélation de sources salutaires profondes, ignorées, auxquelles notre prière ouvre, et qui mettent dans l’émerveillement en s’offrant à nous : Je te donnerai des trésors secrets, des richesses cachées (Is. 45, 3)… N’en trouvons-nous pas comme une illustration dans ces lignes de Vincent de Paul à Louise de Marillac toute désireuse de faire la volonté de Dieu mais tourmentée par les incertitudes quant à ce que Dieu attend d’elle ? Vincent de Paul lui écrit en effet : L’on désire plusieurs bonnes choses d’un désir qui semble être selon Dieu, et néanmoins il ne l’est pas toujours. Mais Dieu permet cela pour la préparation de l’esprit à être selon ce qu’on désire. Saül cherchait une ânesse ; il trouva un royaume ; saint Louis, la conquête de la terre sainte, et il trouva la conquête de soi-même et de la couronne du ciel. Vous cherchez à devenir la servante de ces pauvres filles (des Confréries) et Dieu veut que vous soyez la sienne, et peut-être de plus de personnes que vous ne le seriez en cette façon… (M.- D. Poinsenet, De l’anxiété à la sainteté – Louise de Marillac, Arthème Fayard, coll. Ecclesia Paris, 1958, p. 100)… Bartimée cherchait la guérison du corps, et voilà qu’avec la guérison du corps il reçoit la guérison des yeux de son cœur !
Henri Bastin
Jésus lui dit : « Va, ta foi t’a sauvé » (Mc 10, 52)…
Bartimée (12)
« Va, ta foi t’a sauvé »… « Va » : Il s’agit de l’envoi qui confirme bien la réalité du salut total que l’aveugle a obtenu. Jésus délivre en effet Bartimée de ce qui le paralysait. Davantage, il qualifie de foi tout ce qui a mû Bartimée depuis ses cris répétés jusqu’à son élancement au-devant de sa personne, alors qu’il était encore non-voyant.
L ‘expression t’a sauvé signifie assurément que le don accordé va bien au-delà de la guérison physique : oui, le salut de l’homme tout entier… Déjà, comme nous avons vu, des paroles identiques s’étaient trouvées dans la bouche de Jésus envers la femme atteinte d’hémorragies (Mc 5, 3), révélant bien, comme nous l’avons vu aussi, le sens profond des miracles qu’il accomplit… Apparaît ici en toute clarté, comme en bien d’autres récits, le double but visé par celui qui vient pour tout sauver : réhabiliter les hommes dans la société de leur temps particulièrement par ses paroles et gestes de guérison, et les intégrer à la communauté de relations nouvelles qu’il fonde, communauté de relations filiales et fraternelles.
Henri Bastin
Et aussitôt il recouvra la vue et il cheminait à sa suite (Mc 10,52) … Bartimée (13)
Nous voici devant une finale extraordinaire ! Avec la soudaineté que Marc affectionne (cf. la répétition constante de l’adverbe aussitôt 1, 12 , 20 ; 2, 12 ; 5, 30 etc. ), l’homme guéri de sa cécité emboîte le pas de Jésus. Il se met à le suivre, formule bien connue qui désigne l’attitude du disciple (1, 8 ; 2, 14).
L’art narratif de Marc atteint ici sa perfection. Quel contraste entre la situation initiale de Bartimée (assis, à côté de la route, aveugle et mendiant) et sa situation finale (debout, en marche sur la route, voyant et porteur de la Bonne Nouvelle…).A n’en pas douter, placé à cet endroit où Jésus chemine vers Jérusalem, entraînant ses amis et la foule vers une lumière plus grande sur sa personnalité et sa mission, ce récit est l’illustration de ce que fait le vrai disciple. Il faut se laisser conduire par le Maître à l’illumination de la foi. Déjà la guérison d’un aveugle à Bethsaïde (Mc 8, 22-26) engageait les disciples de Jésus à découvrir en lui le Messie (c 8, 27-30). Maintenant Jésus invite les siens – et tous ceux qui veulent le suivre – à dessiller les yeux de leur cœur pour accueillir, dans la foi, la vision d’un Messie souffrant et triomphant… Marc ne peut mieux situer ce récit qu’au moment où Jésus va entrer à Jérusalem : saura-t-on le reconnaître pour ce qu’il est vraiment, pour ce qu’il est et ce qu’il fait ?
… Et tout en même temps, pour rejoindre notre propos, pour comprendre la prière de supplication comme chemin pascal peut-on la voir mieux située qu’ici-même ?
Bartimée est une icône merveilleuse de la prière de supplication dans toutes ses composantes, disions-nous en commençant la méditation de ce récit. Notre lecture s’est appuyée plus particulièrement sur les commentaires de Noël Quesson (« Parole de Dieu pour chaque dimanche », éd. Droguet et Ardant) et de Jacques Hervieux (« L’Evangile de Marc », Bayard/Centurion, Paris, 1991, pp. 155-16) en les reprenant parfois littéralement.
Avec cet article se clôture l’approche de la prière de supplication telle qu’elle a été vécue durant la retraite de l’Unité pastorale.
Henri Bastin