Le pardon, enjeu de l’identité chrétienne !

Homélie du 7ème dimanche ord C :

                          1 S 26, 2 s; Ps 102, 1 Co 15, 45-49; Lc 6, 27-38

Chers amis, la mission qui nous est assignée aujourd’hui, c’est d’être le reflet de la Miséricorde du Père dans nos familles, dans le monde. Jésus nous en donne l’exemple : par ses paroles, ses gestes, son regard, il s’est dévoilé visage de la Miséricorde du Père. Il a eu pitié des foules, mangé avec les gens de mauvaise réputation, guéri les infirmes, les malades; pleuré des larmes d’émotion au décès de son ami Lazard … Et le point culminant de tout, c’est d’avoir donné sa vie pour ton salut. Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour la personne que l’on aime.

Et c’est quoi la Miséricorde ?

C’est le feu de l’Amour de Dieu qui traverse et embrase le cœur de l’homme. Du latin  misericordia, miseri (pauvre) , cor (cœur), la miséricorde n’est pas une simple mièvrerie affective.  C’est plutôt un cœur bouleversé de l’intérieur, saisi aux tripes; un cœur touché par la misère de l’autre, fût-elle morale, spirituelle,  physique,  psychologique, sociale ou encore matérielle. Et  le miséricordieux ne fait pas que s’apitoyer, il agit en s’impliquant dans le combat pour la dignité de l’homme.

Mes frères et mes sœurs, nous sommes ici au cœur du message évangélique. Dieu est Amour: la Miséricorde est son autre Nom ! Quand dans le symbole des apôtres, professant la foi de notre baptême, nous disons : « Je crois en Dieu, le Père tout-puissant« , il ne s’agit pas d’une puissance de domination qui écrase l’homme ou viole sa liberté, mais de  la toute- puissance de son Amour,  plus fort que nos égarements, nos trahisons, voire nos péchés.

Parmi les œuvres spirituelles  de la Miséricorde, Jésus  épingle cette fois-ci le pardon.… Le pardon, ne serait-ce pas de la lâcheté ? Quand tu fais  l’âne, tu ne devrais pas t’étonner que  les autres te montent dessus. Pour beaucoup, en effet, pardonner, c’est, à bien des égards, pactiser avec le mal.  D’où la logique de la vengeance : si quelqu’un t’a mordu, c’est pour te rappeler que tu as aussi des dents.  C’est dans ce sens que la  législation hébraïque a opté pour la loi du Talion : « Œil pour œil, dent pour dent ». De même, en responsabilité civile, la justice réparatrice stipule que lorsque quelqu’un a été endommagé, lésé, il  est en droit de  réclamer dédommagement.  Dès lors, pour faire la paix,  l’homme compte sans cesse sur les bottes des soldats et le sang répandu de l’ennemi. Cette locution proverbiale en dit long : « Si tu veux la paix, prépare la guerre « … Et la bêtise humaine s’obstine : qui n’est pas inquiet  aujourd’hui de la menace russe d’envahir l’Ukraine ?

Et pourtant, l’expérience montre que répondre au mal par le mal n’arrête pas nécessairement le mal, loin s’en faut.  La surenchère de la  violence qui défigure l’humanité depuis la nuit des temps, l’aversion  qui empoisonne et pourrit tant les relations humaines,   ne disparaîtra pas  avec la démonstration de la force ni avec  l’esprit  la vengeance. Comme le rappelle Jean-Paul II, il n’y a pas de guerre qui soit sainte. C’est la raison pour laquelle  Jésus préconise de combattre le mal par un surcroît d’amour.  Et c’est une stratégie payante en ce qu’elle restaure et libère les cœurs remplis d’animosité et de rancœur.

Un jour, j’ai entendu une religieuse dominicaine dire lors d’une conférence à Liège : « Il y a des choses qu’on ne peut pas pardonner » ! Sans doute …  C’est vrai qu’il  est quasiment impossible de pardonner,  par exemple,  à un prédateur « pédo-iconoclaste », à un pédophile  qui a vilipendé l’innocence d’un.e enfant et détraqué sa vie entière… Comment, par ailleurs, peut-on demander à une femme qui a été violée de pardonner quand, parce que son intimité a été volée,  son identité niée, elle  se voit toute sale, souillée, dégoûtante ? 

Et pourtant, malgré ces traumatismes de plaies difficiles à cautériser,  même si cela ne va pas de soi, il faut arriver, par impossible et grâce à l’aide de l’Esprit Saint, à pardonner. C’est de Dieu lui-même que vient le pardon: la vengeance est humaine et  le pardon divin. Les guérisseurs de l’humanité, celles et ceux qui pardonnent, le savent : le pardon est une voie royale  de guérison intérieure, c’est une délivrance. Un cœur dans lequel fermente le poison de la haine est en souffrance psychologique et spirituelle. En offrant son pardon, la victime se  libère  des pensées négatives qu’elle  rumine contre son ennemi, elle (re)trouve du repos et s’autoguérit…

Chrétienne, chrétien, dis-moi : qui es-tu;  qu’est-ce qui te distingue des autres ? Quelle est, en fait,  la plus-value de ta foi ?  Elle réside dans la conversion de ton regard,  de ton style de vie.  Le style fait l’homme. Bien que pétri de terre comme tous (2ème lecture), toi  tu es capable de pardonner, même à tes ennemis, à l’instar du jeune David (1ère lecture) qui s’est résolu de ne pas tuer le roi Saül, son rival politique, alors qu’il en avait l’opportunité.

                                                                    Vital Nlandu, votre curé-doyen

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